Extrait n°6 de "Infusion"

Publié le par Garry Voligert


Ce jour-là, le soleil ne semblait pas vouloir se coucher, interminable journée de labeur. S’il avait eu une montre, il aurait su que ça n’était pas qu’une impression. Une fois dans l’année, il y avait un jour plus long que tous les autres et il était en train d’en faire l’expérience douloureuse. Pourtant cela faisait des années qu’il était esclave. Si cette fois-ci il en souffrait tellement c’est que cet oranger-marron clair du ciel contrariait son marron à lui, non celui foncé de sa peau mais celui de ses envies de liberté. Le goutte à goutte de sa sueur marquait les secondes qui auraient dû le rapprocher des hauteurs embrumées du flanc de montagne, là-bas, pas si loin que ça…

Mais il était là comme tous les autres à travailler jusqu’au ciel rouge virant bleu nuit.

Comment donc, harassé par ces heures assassines, lui resterait-il assez de force pour mettre son plan à exécution ?

Peu importait, ce jour était son jour, il devait réussir.

Ni Lui, ni Elle ne l’avait pris au sérieux. La sagesse et la tempérance de la jeunesse face à la fougue de l’âge mur ; dans quel monde vivaient-ils là ?

Quand l’horizon affamé fut sur le point de gober l’orange céleste, Il sut qu’il ne devait pas trembler, pas reculer, sa chance était là. Derrière la porte de sa case située dans les hauteurs du quartier des esclaves, il avait une vue imprenable - sauf par les maîtres blancs du haut de leur terrasse immense - sur le festin de cette mer qui les séparait désormais tous de leurs racines. Au moment où le soleil avait presque totalement disparu, tel un signal de départ un rayon vert fusa de la ligne d’horizon et vint frapper la plantation. D’autres l’avaient vu, des esclaves mais aussi des maîtres et contre-maîtres, tous les yeux – ou presque - étaient tournés vers l’océan et sa ligne couleur feuille. Un grand brouhaha d’étonnement retentit et résonna quelques instants, couvrant ses pas rapides et son souffle appuyé.

C’était fait, il courrait droit devant lui, dératé. Décroché du firmament nègre, il était un marron-filant exauçant son seul vœu : vivre et mourir libre.
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S
C'est beau, prenant, ca donne envie de lire la suite :D
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